Les stops transparents

Voilà déjà plusieurs années que le gouvernement du Québec a décidé de remplacer le panneau de signalisation ARRÊT STOP.

Est-ce que le panneau STOP peut être considéré comme un panneau de signalisation bilingue?

Louis Lemieux, Sherbrooke

Voilà déjà plusieurs années que le gouvernement du Québec a décidé de remplacer le panneau de signalisation ARRÊT STOP.

Est-ce que le panneau STOP peut être considéré comme un panneau de signalisation bilingue?

Louis L., Sherbrooke

On dirait bien que vous aimez rouvrir les boîtes de Pandore. S’il y a un sujet qui symbolise toute la question linguistique au Québec, c’est bien celui du panneau ARRÊT STOP, qui a soulevé les passions pendant des décennies.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que j’en parle : j’avais déjà fait un résumé de l’affaire en 2009. Mais votre question tombe quand même à point, car elle me fait prendre conscience que nous avons fini par en arriver à un certain consensus social.

L’année 2023 était en effet celle des 30 ans de l’abolition des panneaux ARRÊT STOP au Québec, au profit de panneaux ARRÊT ou STOP. Force est de constater qu’on n’en entend plus vraiment parler. La décision prise par Robert Bourassa en 1993 semble avoir satisfait une majorité de citoyens.

Retour au 15 décembre 1992. Il ne restait alors que deux semaines aux municipalités pour faire disparaître les derniers panneaux ARRÊT STOP au profit de panneaux ARRÊT et ainsi respecter un décret adopté en 1982 par le Parti québécois. Mais Robert Bourassa, alors en rupture avec la communauté anglophone depuis la fameuse loi 178 et sa « nette prédominance du français » dans l’affichage, fait révoquer le décret par son ministre des Transports Sam Elkas, afin de reconquérir l’électorat anglophone : il autorise, en plus des panneaux ARRÊT, les panneaux STOP, puisque ce mot est accepté en français depuis 1927. En même temps, le gouvernement québécois donne aux municipalités le loisir de choisir entre les deux.

Depuis, les villes et arrondissements à majorité anglophone optent généralement pour le STOP, et leurs homologues francophones, pour le panneau ARRÊT. Cette solution semble avoir été la bonne, même si, de temps à autre, des individus et groupes soit plus radicaux, soit ignorants de l’acception du mot stop en français, soufflent sur les braises pour tenter de raviver le conflit.

Choisir l’angle qui choque

Venons-en maintenant à votre question : peut-on alors considérer le panneau STOP comme un panneau bilingue, puisque ce mot est accepté dans les deux langues?

Comment dire? Ce serait à la fois provocateur et réducteur.

Provocateur, parce que la suppression du panneau ARRÊT STOP vient d’une volonté de justement mettre fin à une forme de bilinguisme dans l’affichage. Dire que c’est un panneau bilingue parce que le mot STOP est accepté en anglais et en français, c’est comme choisir sciemment l’angle qui mettra les francophones en furie.

Alors qu’on pourrait aussi bien dire que c’est un panneau français. Ou anglais. Ou italien. Ou polonais. Ou norvégien. Ou grec. Ou espagnol. Car, voyez-vous, le panneau STOP est une convention internationale : il est employé dans de nombreux pays non anglophones, dont une vingtaine en Europe. Vous le trouverez également dans plusieurs pays d’Afrique, en Indonésie, au Viet Nam, aux Philippines et sans doute bien d’autres sur la planète. Le mot stop est aujourd’hui compris et employé dans de multiples langues.

Voilà pourquoi je trouve réducteur de dire qu’il s’agit d’un panneau bilingue : il est plus exactement multilingue.

Dans certains pays, comme au Japon, en Corée du Sud ou en Arménie, ainsi que dans plusieurs de nos communautés autochtones, ce sont de véritables versions bilingues qui vous attendent, le mot stop (ou arrêt au Québec) étant accompagné de son équivalent dans la langue locale.

Quant au mot arrêt, qui était aussi critiqué parce qu’il désigne au départ l’action d’arrêter et ne comporte pas au départ l’idée de commandement au même titre que stop, halte! ou arrêtez!, il est aujourd’hui accepté comme québécisme.

Les vrais amis

Stop est ce qu’on appelle, en linguistique, un mot « transparent » : son orthographe et sa définition sont exactement les mêmes dans au moins deux langues différentes.

Et vous admettrez que ce terme est particulièrement adapté au mot stop, étant donné le grand nombre de chauffeurs qui semblent voir à travers…

Blague à part, certains désignent également les mots transparents comme de « vrais amis », pour justement les distinguer des « faux amis », des emprunts déconseillés parce que les deux mots, même s’ils sont similaires, n’ont pas la même définition dans chacune des langues – par exemple tattoo, qui désigne un tatouage en anglais, et tatou, qui désigne un animal en français.

Notez qu’on considère aussi comme transparents des mots qui n’ont pas totalement la même orthographe, tels jugement et judgement, présence et presence, âge et age, confortable et comfortable.

Dans les cours de langue, on se sert beaucoup des mots transparents pour accélérer l’apprentissage… tout en mettant les élèves en garde contre les faux amis.

Comme l’anglais et le français se sont échangé des centaines de mots au fil des siècles, le nombre de mots transparents dans ces deux langues est assez important. Il y en aurait environ 2000.

En fait, certains estiment à environ 30 pour cent le nombre de mots anglais d’origine française. Pensez à tous ceux qui se terminent par -tion (action, question, condition), par -age (courage, image, village), par -ence (intelligence, conscience, existence), par -ment (moment, instrument, document), par -al (social, total, mental), etc. 

Je ne suis pas arrivé à trouver le nombre de mots totalement transparents en français et en anglais (c’est-à-dire ceux qui ont exactement les mêmes orthographe et définition), mais une chose est certaine : si, dans la démarche d’éviter le bilinguisme institutionnalisé au Québec, on avait écarté tous les mots transparents, on se serait arraché les cheveux.

Si on considérait le panneau STOP comme bilingue, il faudrait logiquement dire la même chose des commerces qui affichent GARAGE ou RESTAURANT, d’une bibliothèque qui a installé le mot SILENCE sur sa porte ou d’un café qui a fait inscrire le mot MENU sur la liste des mets.

Bref, on se priverait de mots parfaitement français.

Perles de la semaine

Plus récente récolte du Sportnographe.

  • « Joe, il a une très bonne vitesse intellectuelle. »
  • « La Ville des vents, Philadelphie. »
  • « C’est un match qui était amplement [âprement] disputé des deux bords. »
  • « Vous allez vous entendre, vous allez régler vos indifférents ensemble. »
  • « Je pense que tous les jeunes joueurs seraient délusionnels? Désillusionnels? Tu comprends ce mot-là? […] La vie n’est pas fair tout le temps. Il faut que tu continusses. »