
Une locution à l’instar d’une autre
J’aimerais que vous nous parliez de l’expression à l’instar de. J’ignore pourquoi mais j’accroche tout le temps. À mon oreille, elle veut dire au contraire. Pourquoi ne peut-on utiliser tel ou comme? Il me semble que ça ferait moins pédant.
Lucie P., Gatineau
J’aimerais que vous nous parliez de l’expression à l’instar de. J’ignore pourquoi mais j’accroche tout le temps. À mon oreille, elle veut dire au contraire. Pourquoi ne peut-on utiliser tel ou comme? Il me semble que ça ferait moins pédant.
Lucie P., Gatineau
La locution à l’instar de est effectivement considérée comme littéraire, nous dit le Petit Robert. Elle provient de la locution latine ad instar, dont elle est une adaptation. Le mot instar signifie valeur égale.
Selon la Banque de dépannage linguistique (BDL), le mot instar aurait à l’origine « désigné le poids que l’on place sur un plateau de balance pour faire équilibre ».
À l’instar de est donc synonyme de à l’exemple de, à la manière de, de même que. Voici des phrases que donne la BDL pour nous donner un aperçu de l’usage de cette locution conjonctive.
À l’instar de douces paroles, le silence peut être réconfortant.
Ce concert a marqué les esprits, à l’instar d’autres spectacles de ce grand festival.
À l’instar de dame Giselle, vous ne faites pas dans la dentelle!
Donc, oui, on pourrait facilement remplacer à l’instar de par la conjonction comme ou l’adjectif tel introduisant une comparaison. Mais il arrive que des mots changent de registre de langue.
Change de registre!
C’est le cas du verbe avérer, dont j’ai déjà parlé dans une précédente chronique. Ce verbe est toujours considéré comme littéraire et désuet par les principaux dictionnaires. Mais il y a une quinzaine d’années, avérer a fait un fabuleux retour dans la langue courante, surtout dans les médias.
La plupart du temps, il est difficile d’expliquer avec exactitude pourquoi un mot ou une expression reviennent à la mode ou changent de niveau de langue, mais le plus souvent, c’est par mimétisme.
Ce peut être, par exemple, une personnalité publique qui emploie un mot dans un moment vu par des milliers de personnes. La meilleure illustration de ce phénomène, c’est une ancienne publicité de Pepsi avec Claude Meunier, extrêmement populaire en 1988, dans laquelle un des personnages félicitait un chanteur pour ses textes de chansons « songés ».
Du jour au lendemain, des dizaines de personnes, qui n’ont pas perçu l’ironie dans ce choix de mot volontairement erroné, ont ajouté l’adjectif songé à leur vocabulaire comme synonyme d’intelligent ou réfléchi. Résultat : la BDL a été obligée de rédiger une fiche pour remettre les pendules à l’heure.
Dans le cas d’avérer (et c’est probablement ce qui s’est passé avec à l’instar de), on peut présumer qu’un ou des journalistes en manque de synonymes se sont mis à l’employer pour varier leur vocabulaire. Et comme les journalistes sont amenés à se lire beaucoup les uns les autres dans la préparation de leurs articles et reportages, ils intègrent ces mots à leur lexique personnel (remarquez, c’est également de cette même façon que les usages erronés se propagent).
Il ne faut donc pas voir l’utilisation d’à l’instar de comme prétentieuse, mais comme un glissement de registre comme il s’en produit à l’occasion et comme un enrichissement du vocabulaire. Dans un texte que l’on souhaite accessible, on continuera quand même de privilégier des mots plus courts et plus simples.
Fausse impression répandue
Cela dit, vous n’êtes pas la seule à avoir cette fausse impression qu’à l’instar de est antonymique à sa définition et qu’il signifierait contrairement à, à l’inverse de, à l’opposé de, puisque la BDL relève cette confusion dans sa fiche, sans tenter d’explication.
De mon côté, j’ai fait une brève recherche dans les archives des médias et je n’ai pas trouvé d’exemple d’usage fautif.
Quant au déplaisir que suscite chez vous cette locution, je ne peux que répondre ce que je réponds toujours : le problème n’est pas dans l’expression elle-même, mais dans la perception que vous en avez. Or, une perception, ça se change. Et laquelle des deux options qui suivent est la plus susceptible de se réaliser : changer votre perception ou espérer que toutes les personnes qui emploient à l’instar de cessent de le faire?
C’est du moins une des choses que je tente de faire comprendre régulièrement : quand on n’aime pas un mot qui ne comporte aucune faute de sens ni d’usage, ce n’est pas la faute du mot. Le mieux que l’on puisse faire, c’est de ne pas l’employer soi-même. Espérer que tout le monde en fasse autant, c’est choisir l’option la moins probable.
Notez que, jusqu’au XIXe siècle, on employait régulièrement instar comme nom. Cet usage a disparu, mais voici des exemples extraits de la fiche de la BDL.
Reste à voir dans l’atome un instar d’animal doué d’un sentiment complet, total, normal.
Il aime les Français, s’habille à leur instar.
N’est-ce pas […] ton fils, qui, toujours à ton instar, est […] entré de vive force, comme un voleur, dans des maisons honnêtes […]?
Je souligne également qu’en anglais, le mot instar s’est infiltré en zoologie : il désigne le temps entre deux mues, le plus souvent chez un insecte. En français, on recourt le plus souvent au mot stade pour exprimer cette réalité, mais instar est aussi accepté en ce sens en français, bien que plutôt rare et technique.
Perles de la semaine
Quelques perles extraites d’une émission spéciale soulignant les 20 ans de RDI, en 2015.
- « La fanciulla del West » : c’est un opéra moins connu de Pacini…
- Les grands couturiers veulent avoir pignon sur riz à Shanghai.
- On ne fait pas d’omelette sans casser des bœufs!
- Denis Lebel a sorti un chapeau de son lapin.
- Nous parlerons aussi du centenaire du phénomène « Anne aux pigeons verts ».