Minute matrimoine!

La controverse sur patrimoine et matrimoine a atterri à La Tribune la semaine dernière. Une lectrice a interpellé une de mes collègues pour l’entretenir du mot matrimoine. « Nous connaissons toutes le patrimoine, mais notre héritage à nous, les femmes, notre matrimoine? Peu, peu, peu. Et pas. Même le mot est inconnu. Ou à peine. Vaguement défini… Dire que nous sommes au XXIe siècle! »

L’automne dernier, Manon Massé, cochef de Québec solidaire, a créé une petite tornade en annonçant que la locution « héritage culturel » remplacerait désormais, dans les statuts du parti, le mot patrimoine, dont l’étymologie signifie « héritage du père » (du latin patrimonium). Quelques jours auparavant, une élue de la Ville de Paris avait suggéré que les Journées du patrimoine soient rebaptisées Journées du patrimoine et du matrimoine.

Évidemment, ces deux idées ont vite été tournées en dérision. Ce qui, à mon avis, est contreproductif et ne fait que braquer les gens. Je préfère donc vous expliquer pourquoi ces propositions, nées d’une bonne intention, sont beaucoup plus complexes à appliquer qu’elles ne le paraissent.

Quelle est la définition que donne le Petit Robert du mot patrimoine? « Biens de famille, biens que l’on a hérités de ses ascendants. » Le Petit Larousse est encore plus équitable : « Ensemble des biens hérités du père et de la mère. »

En français, la notion de « père » n’existe donc que dans l’origine du mot, non dans sa définition, qui inclut les deux sexes. On peut parler du patrimoine de sa mère, de sa grand-mère ou de n’importe quelle autre parente ou aïeule. C’est plutôt en anglais que le mot patrimony a gardé, dans une de ses définitions, la notion d’héritage du père. C’est probablement la raison pour laquelle le ministère du Patrimoine canadien se transforme en Canadian Heritage en anglais (et non Canadian Patrimony).

Maintenant, doit-on entreprendre de biffer tous les mots dont l’étymologie ne reflète plus nos valeurs d’aujourd’hui?

Si c’est votre désir, vous n’êtes pas sortis de l’auberge!

Il faudra en effet bannir le mot patrie, qui veut dire « pays du père », et ses dérivés patriote, patriotisme et patriotique. Idem pour hystérie et hystérique, qui tirent leurs racine du grec hustera (utérus). Saviez-vous que l’adjectif con vient du latin cunnus (vagin)? Par contre, vertu, lui, est issu de vir (mâle), tout comme vertueux et virtuose. Quant au pronom personnel indéfini on, il provient du vieux français hom, cousin du mot homme.

Et que diriez-vous si l’infirmière qui vous vaccine vous lançait : « En passant, le mot vaccin a la même origine que le mot vache »?

L’ultime étymologie sexiste? Le mot matrimoine (qui ne figure pas dans les dictionnaires usuels). Il devrait, croirait-on, signifier « héritage de la mère »… mais il veut plutôt dire… mariage! Telle est en effet la définition de matrimonium en latin (n’avez-vous jamais entendu parler d’une agence matrimoniale)? Matrimoine n’est donc pas la solution égalitaire attendue.

Que retenir de tout ça?

Que, malgré les apparences, changer un mot n’est pas simple. On ne se rend pas toujours compte de la rangée de dominos que l’on fait tomber.

Il faut aussi combattre l’impression de petite victoire immédiate que procure la rectitude politique dans le vocabulaire. Bannir patrimoine peut laisser le sentiment d’avoir minimalement fait avancer la reconnaissance de l’apport des femmes à notre société. Mais qu’en est-il dans la réalité? Les sourds n’ont pas vu leur situation réglée lorsqu’ils sont devenus des malentendants ou des déficients auditifs. Aujourd’hui, certaines personnes sourdes réclament même le retour de ce mot, puisque sa définition est « qui perçoit mal les sons ou ne les perçoit pas du tout ».

Bref, c’est changer les perceptions et non les mots qu’il faut faire. Oui, cela demande beaucoup plus de temps et d’énergie, mais les effets sont beaucoup plus durables.

Il reste une ultime question : si nous faisons disparaître de la langue toutes les traces moins glorieuses de notre passé, ne risque-t-on pas de voir des gens affirmer un jour que cela n’a jamais existé?

Perles de la semaine

Les journalistes sont champions pour trouver des perles rares.

  • Marilyne Gagné est bien partie pour placer ses pilons sur l’échiquier mondial.

  • Daniel Audette n’entend pas brouiller du noir à son retour dans la LHJMQ.

  • Un individu a été volé et enfermé dans la voiture de son véhicule.

  • Il y a des connes orange partout [cônes].

  • Grèce générale en Grèce